Expo : Natalia Blanch, la poésie du crochet

Cette semaine, on fait un pas de côté, on laisse le thème de la santé entre parenthèses (on y reviendra…!) et on va au musée.

Pligou me parlait depuis plusieurs mois déjà du travail de Natalia Blanch, une artiste plasticienne qui utilise le crochet. Connaissant ma comparse, je subodorais une belle découverte… La semaine dernière, nous avons donc embarqué en bande de filles pour voir l’expo de Natalia au TAMAT, le Centre de la Tapisserie, des Arts muraux et du Textile de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En effet, ça valait le déplacement!

Je vous raconte?

Présentations

Natalia Blanch, c’est un tout petit bout de femme né en Argentine, où elle a suivi des études de peinture avant d’enchaîner avec un Master en Beaux-Arts à l’Université du Maryland. Elle vit à Bruxelles où elle se partage entre son travail artistique personnel et l’enseignement. Et puis elle médite, elle fait de l’aïkido et du yoga, elle élève deux enfants avec son compagnon. Petit bout de femme, certes, mais du genre moulé dans l’acier!

En 2016, elle a obtenu une bourse de recherche et d’expérimentation du TAMAT. Cette bourse permet chaque année à 8 artistes de développer un projet en lien avec le textile au sens large. Comme l’explique Valérie Bacart, directrice du TAMAT:  « Bien plus que le matériau stricto sensu, c’est « l’esprit textile » de l’artiste sélectionné qui détermine son adéquation au Centre de Recherches et d’Expérimentations« . On retrouve donc au fil des promotions des vidéastes, céramistes, peintres, photographes, … aussi bien que des designers textiles.

Cette prémisse, déjà, m’interpellait et attisait ma curiosité. Vous l’aurez compris en lisant Mouton Noir, la maille, pour moi, ce n’est pas qu’un passe-temps casanier, ça va plus loin que le joli bonnet et le pull doudou, ça me sert de trame (ok, je sors…) pour interroger le monde. Des napperons, d’accord, mais des napperons qui nous disent quelque chose s’il-vous-plaît madame! Et ce parti-pris d’ouverture, de mélange, de « sens large »,… ça me mettait en appétit :-)!

Texture, ombres et traces

Le point de départ de cette année d’expérimentation, pour Natalia, c’est le crochet et les mots. L’inspiration lui est venue des poèmes de sa compatriote Alejandra Pizarnik, en particulier le recueil Arbre de Diane. Ces très courts poèmes (des « miniatures » selon le traducteur de Pizarnik en français) décrivent les sentiments de l’auteure, la visite d’une exposition ou encore le vertige d’une vie qui commence, dans une langue concise et un lexique plutôt minimaliste, qui tient de la litanie.

Expliquer avec des mots de ce monde/ que m’a quittée un bateau qui m’emporte. (1)

Natalia a pris le parti d’intégrer des mots ou des phrases de ces poèmes dans ses œuvres crochetées. Pour cela, elle utilise du fil de coton teint ou peint à la main. Au contact de la peinture, les mailles et les mots se déforment, perdent leur lisibilité. On sait qu’ils sont  tissés ou crochetés mais on ne peut les déchiffrer que dans les grilles-patron qui sont exposées avec eux ou dans l’ombre de l’objet crocheté.  Ils sont « là » et « pas là ».

 

Dans un deuxième temps, Natalia est passée des mots au dessin. Elle explique que ça lui semblait un prolongement naturel, un même travail d’attention et de minutie que celui requis par le crochet.  Son interprétation libre de la grille-patron technique, à l’encre de Chine, matérialise la question du vide et du plein: vide en soi pour atteindre la concentration requise par le dessin à l’encre, plein de l’attention (la langue anglaise ne parle-t’elle pas de « mind-fulness » ou plénitude de l’esprit?), creux entre les mailles, densité des mots qu’on lit tout bas, …

Pour Natalia, ces dessins, s’ils ne sont pas des « objets » textiles, sont de la maille au même titre que le coton crocheté. Et en effet, on y perçoit une densité et un relief particulier, on a l’impression que le trait se dédouble, on croit parfois voir un fil qui dépasse . Puis, au-delà de l’apparence figurative, une observation plus fine vous fait plonger dans ces enchevêtrements comme en vous-même. En suivant le chemin tortueux et un peu effiloché de l’encre/du fil, on finit par s’interroger sur les chemins qu’on a pris ou pas, sur la possibilité d’un demi-tour, la fin du parcours… On se demande quel est l’original, quelle est la trace?

 

Dans certaines pièces, des échantillons de crochet anciens, voire un napperon entier, se mêlent aux grilles dessinées et à la photo. Jeux d’ombres, question et réponse, monde des idées et réalité, … autant de nouvelles questions qui me viennent alors à l’esprit.

 

De la confrontation avec ce travail si intense, si riche en questionnements et en thématiques, naît en moi un grand calme, fait de présence à moi-même et d’ouverture au monde. Le monde extérieur est en effet présent ici et là, en filigrane. Dans une photo de la mer, par exemple, qui sous les éclats de lumière recèle aussi de trop nombreux cadavres. Sybille Cornet, auteure du texte de présentation de Natalia dans le catalogue de l’exposition, exprime ainsi cette juxtaposition :

Dans ces vides, ces absences, planent une immobilité tranquille, une certaine légèreté cristalline. Mais gronde aussi le murmure des tragédies humaines, celles qui hantent l’humanité toute entière et celles qu’avec pudeur on tient cachées, mais qui dans le silence nous tourmentent.

Ce sentiment mêlant intériorité et ouverture que j’éprouve, il m’évoque l’état d’esprit qu’on peut expérimenter après une séance de méditation. Pas étonnant quand on sait que Natalia est adepte de méditation zazen (oui oui, c’est elle notre « crocheteuse-zen » 😉 ) .

Pour découvrir son travail, ainsi que celui des autres boursiers 2016, vous avez jusqu’à la fin du mois, autrement dit 2 week-ends. Comme c’est un peu court, que les mots ne suffisent pas toujours et qu’on est partageuses ;-)… allez, vous avez droit à quelques photos supplémentaires ;-).

 

Vous aimez? Vous connaissez d’autres artistes textiles à nous faire découvrir? Dites-nous…!

Bon week-end,

Séverine

 

Notes

  • Le site de Natalia : www.nataliablanch.com
  • TAMAT se trouve à Tournai, en Belgique (90Km de Bruxelles, 30Km de Lille).
    • Le site : www.tamat.be.
    • Il y a aussi de chouettes photos sur la page FB .
  • Alejandra Pizarnik :
    • A lire : Arbre de Diane, traduction de Jacques Ancet, Ypsilon éditeur, 2014 (citation (1) : p.25)
    • Pour écouter ses poèmes et des extraits de son journal: cette émission de radio.
  • Photos : (c) Pligou et (c)Séverine Putzeys

 

11 commentaires sur « Expo : Natalia Blanch, la poésie du crochet »

  1. Ah c’est fou ça. Je connais un tout petit peu Natalia. Je savais qu’elle dessinait mais n’avait jamais rien vu et ignorait le reste. Je n’ai pas le temps d’aller voir son expo mais merci pour le partage. C’est splendide. Je lui dirais la prochaine fois qu’on se croise!

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    1. Heureuse d’avoir contribué à cette découverte :-)! Le travail de Natalia est en effet splendide , j’aurais même envie d’y retourner ;-).
      Bon week-end!

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  2. Une nouvelle fois, un article hyper intéressant! Je ne connaissais pas cette artiste et j’aime beaucoup ce qu’elle fait et ces idées tellement jolies! Merciiiiii de nous partager cela et de nous ouvrir à ce monde merveilleux! Bisous ma belle!

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