photo: pligou

Dans mon école primaire (je suis une dinosaure de 1975), le jeudi après-midi, les garçons allaient « au foot » et les filles « au tricot ». Les uns partaient courir au grand air, les autres s’asseyaient en silence ! Personne n’avait envisagé que ces activités puissent être mixtes. Le tricot était une affaire de fille, point.

Pourtant ce ne fut pas toujours le cas… Au cours de l’histoire du tricot, qui est une pratique très ancienne, on trouve de nombreux exemples d’hommes tricotant, sans que cela soit considéré comme intrinsèquement féminin! Par exemple : les bergers landais qui filaient et tricotaient la laine en gardant leurs troupeaux, quelques paysans ou encore les pêcheurs qui fabriquaient leurs filets. Durant la première guerre mondiale, dans certaines écoles pour garçons, les élèves tricotaient des chaussettes pour les soldats…

Bien sûr les femmes ont toujours tricoté. Mais plus spécifiquement au cours du 15 ème siècle, le tricot devint une véritable profession masculine. On créa des guildes et des confréries de bonnetiers, dirigées par des hommes et qui employaient… des hommes ! On en trouve par exemple à Tournai en 1429 et à Paris en 1527. Les seules femmes admises dans ces cercles très fermés de tricoteurs étaient les veuves des compagnons décédés et qui devaient être « remplacés ». Le tricot demandait un grand savoir-faire dont l’apprentissage durait jusqu’à six ans et se soldait par un examen où le futur maître-artisan devait réaliser une chemise, des chaussettes, un tapis décoré.

Avec la mécanisation et l’industrialisation du textile, le tricot perdit peu à peu de son prestige et retourna dans la sphère domestique où, devenu un art mineur, les hommes l’abandonnèrent aux femmes. Dans nos régions, l’enseignement du tricot et des travaux d’aiguilles fut rendu obligatoire pour les filles, car on considérait que ses « vertus » convenaient particulièrement aux femmes : immobilité, patience, concentration… Alors que, suite aux différents conflits armés (de la guerre franco-prussienne de 1870 aux deux guerres mondiales), on préféra exalter chez les garçons des idéaux considérés comme « virils »: mouvement, force, agressivité.

Aujourd’hui, les hommes qui tricotent (qu’ils soient artistes, designers textiles ou autre) doivent se frotter à de nombreux clichés. Tandis que les femmes artistes qui utilisent le tricot et la broderie dans leurs oeuvres, le font souvent de façon  critique, avec humour et ironie, dans le but de questionner le rôle social qui nous est traditionnellement dévolu. Bref, que l’on soit un homme, une femme, ni l’un ni l’autre ou les deux, il semble bien que le tricot soit devenu une activité plus subversive qu’on ne le pense !

Ps: j’ai trouvé un livre de tricot édité une première fois en 1972, destiné aux hommes, où se sont des mains d’hommes qui tiennent les aiguilles sur les photos… étonnant ! http://www.amazon.com/The-Manly-Knitting-David-Fougner/dp/158423556X

Sources:

• Collectif « Utile, l’inutile du fil », éd.passage piéton et esperluete, 2006
• Laurence Creusen « A travers les mailles du tricot et du crochet », mémoire en anthropologie, ULG, 2011-2012
• 100 idées « spécial tricot » n°144, octobre 1985
• Burda Hors Série « tricoter fait plaisir » n°94, 1970