Knitting is the saving of life

Dans le tableau ci-dessus, je suis tout d’abord frappée par les couleurs, à la fois fortes et douces, avec le rose du tricot en point focal. Il me fait immédiatement penser aux auto-portraits de Gauguin, dont se dégagent à mes yeux beaucoup de douceur et comme une tristesse en train d’être apaisée. J’ai le même sentiment devant ce tableau: on ne distingue pas les yeux de la tricoteuse, elle est affaissée, mais le rose du tricot lui monte aux joues et on devine un sourire sur ses lèvres.

Cette femme, c’est Virginia Woolf. Ses romans Mrs Dalloway, Les Vagues ou encore La Promenade au Phare comptent parmi mes livres préférés, ceux auxquels je reviens sans cesse et dont je pourrais paradoxalement me défaire, tant ils continuent de m’habiter sans même les avoir en main.

J’ai découvert ce tableau il y a peu, au hasard de clics plus ou moins attentifs sur Pinterest. Virginia Woolf tricotait! Cette femme que j’imagine en être de pensée, quasi immatérielle, tricotait! Et j’y vois un lien avec une autre de mes auteures fétiches, Sylvia Plath. Je ne sais pas si Sylvia tricotait mais elle parlait beaucoup de la vie de tous les jours, la vie domestique et matérielle, ce qui me la rend terriblement humaine et attachante.

Revenons au tableau. Il date de 1912 et est de Vanessa Bell, la sœur de Virginia. A la même époque, au retour d’un séjour en « maison de repos », celle-ci écrivait à son futur époux : Knitting is the saving of life.

Le tricot sauve la vie! Dans le cas de Virginia, il ne l’a pas sauvée jusqu’au bout (elle a mis fin à ses jours en 1941) mais l’idée que le tricot aie pu l’aider à (sur)vivre encore 30 ans après avoir écrit cette lettre, années durant lesquels elle a produit tant de chefs-d’oeuvre, me touche énormément.

Le tricot sauve la vie… On est d’accord, il ne sauve pas la vie de ces femmes (et hommes!) pour qui tricoter était la seule façon de vêtir leur famille chaudement et qui y employaient le moindre moment de leur temps. Le tricot ne sauve pas la vie des ouvrier.e.s des ateliers textiles « modernes ». Mais je suis convaincue que le tricot peut sauver celles et ceux qui sont trop « dans leur tête ». Celles qui sont obligées de rester alitées pendant une grossesse difficile. Celles et ceux qui sans cela ne détacheraient pas leur regard de la perfusion de chimio. Celles et ceux, en prison, en qui plus personne ne croit.

Sans dévoiler leurs vies, leurs secrets, j’ai été frappée de voir que la plupart des participantes à mes « apéro-mailles » ont connu de grosses blessures : cancer, burn-out, maladie grave d’un conjoint, rupture difficile, … pour beaucoup d’entre nous (moi la première!), oui, le tricot « sauve la vie ».

Il donne un rythme et un objectif.

Il apaise l’anxiété, il donne confiance.

Il nous rend fier.es de nos créations, heureux.ses de la gratitude de ceux pour qui on tricote.

Il (r)éveille la sensualité par le toucher, la vue, l’odeur de la laine, le clic-clic des aiguilles.

Il nous relie : les un.e.s aux autres, à nos aïeux, aux cycles de la vie animale et végétale.

Il nous fait bouger (les doigts mais pas seulement : on peut marcher beaucoup pour shopper la pelote idéale ou se rendre à un café-tricot 😉 ).

Bref, « le tricot, c’est la santé! ».

Pendant les prochaines semaines, Pligou et moi vous proposons d’explorer les liens entre les arts de la maille et notre bien-être physique et mental. Cette nouvelle série comprendra nos réflexions personnelles, des témoignages, des exercices pratiques, des points et modèles, … Comme toujours, n’hésitez pas à partager avec nous vos points de vue, vos sources ou encore vos propositions d’articles :-)!

Bon week-end et à bientôt!

Notes

  • Source de la citation : Knitted Thoughts
  • Tableau : Virginia Woolf (née Stephen) par Vanessa Bell (née Stephen), 1912. National Portrait Gallery, London.
  • Les oeuvres de Virginia Woolf sont publiées en traduction française, notamment chez Folio et Le Livre de Poche. Et puis, à la réflexion, je n’aurais pas d’objection à recevoir cette édition -à bon entendeur… 😉
  • Sur la place du tricot dans les classes ouvrières et la paysannerie, lire l’essai de Kate Davies, « Haps, an illustrated history » (dans The Book of Haps , en anglais et dispo à la consultation lors d’un apéro-mailles forestois si cela vous intéresse 😉 ). A noter que Kate Davies elle-même s’est mise au tricot après une grave attaque et 6 mois d’hospitalisation, chaise roulante, rééducation…  (cf son portrait ici).

6 commentaires sur « Knitting is the saving of life »

  1. Décidément ma chère Séverine, chacun de tes articles me transportent, m’intéressent et m’en apprennent beaucoup… et j’adore ça! Je sens que ces articles vont être très poignants et intéressants, très doux et très tendres… comme vous savez si bien le faire Chloé et toi! Bisous ma belle et au plaisir de te revoir bien vite!

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    1. Merci,chère Stéphanie :-)! Oui oui,il y aura de la douceur et de la tendresse et aussi de l’humour parce rien ne vaut un bon fou rire pour se sentir bien :-)! Je t’embrasse!

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  2. Tricoter m’a aidé durant des périodes vraiment difficiles (burn-out), notamment parce que dans les moments où l’énergie était très basse, ce qu’il reste du tricot quand il est terminé… c’est un tricot ! Machinalement, consciemment, chaque maille forme un objet… très concret, même dans les moments les plus rudes. Comme le dit Elizabeth Zimmermann : « Knit on with confidence and hope, through all crises. » ! Me réjouis de lire les prochains billets !

    PS : La Dulwich Picture Gallery (Londres) accueillera en 2017 la première rétrospective du travail de Vanessa Bell !

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    1. Merci pour ton témoignage, Marie! Je suis d’accord avec toi, c’est très gratifiant de « produire » un objet concret alors même qu’on est au plus bas – et dans ton cas, en plus d’être concret, le résultat est tellement beau… peut-on imaginer meilleure thérapie d’estime de soi? :-).
      Je note l’info au sujet de Vanessa Bell! Ca me fera un bon prétexte pour booker un petit séjour londonien 😉

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