Si vous lancez une recherche iconographique sur les hommes et le tricot, vous trouverez des images de bergers et de pêcheurs donc, mais aussi … d’hommes d’armes!
Le tricot est en effet étroitement lié au monde militaire, au point que des colloques sont consacrés au sujet (par exemple en 2015 à l’Université de Glasgow).
Le tricot du soldat
En matière de tricot, le soldat est avant tout récipiendaire.
Les tenues des soldats étaient majoritairement en laine jusqu’il y a une trentaine d’années mais il faut noter que le tricot à proprement parler a été petit à petit exclu au profit du drap de laine, pour des raisons économiques (le tricot consomme énormément de matière première) et de conservation. Il y a malgré tout des exceptions: les militaires travaillant dans des conditions extrêmes (la marine par exemple) et… les chaussettes, pour lesquelles on n’a pas trouvé mieux que le tricot! Une anecdote amusante à ce propos : la technique d’assemblage dénommée « kitchener stitch » en anglais doit son nom à un militaire! Lord Herbert Kitchener aurait inventé cette méthode pendant la première guerre mondiale pour offrir aux soldats des chaussettes plus confortables.
Our boys need sox!
Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la fabrication des chaussettes de l’armée belge, pour citer un exemple local, était majoritairement confiée aux prisons et aux « dépôts de mendicité » : dans les années 1840-1850, les historiens estiment que 2/3 des besoins textiles de l’armée étaient couverts par des institutions carcérales (source : Pierre Lierneux, voir notes en bas d’article).
Ensuite, lors des grands conflits du XXème siècle, les Etats-Unis et l’Angleterre vont massivement encourager la population civile à contribuer à l’effort de guerre en tricotant pour les soldats. Tous ceux qui ne sont pas au front, c’est-à-dire les femmes mais aussi les écoliers des deux sexes et les hommes non mobilisés, sont ainsi invités à tricoter cagoules, bonnets et chaussettes à l’aide de patrons bien précis. De telles campagnes ont été très présentes aux Etats-Unis, moins dans les pays européens. On peut voir à cela deux explications : sur le plan pratique, les ressources en laine étaient passablement amoindries en Europe mais surtout les Etats-Unis ont pu s’appuyer sur une tradition de clubs de tricot (les knitting clubs) restée très vivante depuis la guerre de Sécession. De nos jours, des associations américaines mobilisent d’ailleurs toujours les tricoteurs.ses pour leurs troupes (voir ici , là ou encore là).
Le soldat tricoteur
De façon peut-être plus étonnante, le tricot est également pratiqué par les militaires. Les anecdotes à ce sujet sont de deux ordres : d’une part le tricot aurait été utilisé par les soldats pour tuer le temps pendant les périodes d’accalmie, d’autre part certaines institutions hospitalières ou de convalescence ont instauré des cours de tricot pour les soldats blessés afin que ceux-ci contribuer à l’effort de leurs camarades mais aussi avec des visées thérapeutiques.
Wool War One, l’armée tricotée
Plus près de chez nous, la plasticienne française Délit Maille a commémoré le centenaire de la première guerre mondiale avec une armée de laine.
Pour le projet « Wool War One« , elle a rassemblé 500 tricoteurs des 5 continents (499 « -euses » + 1 « -eur »). Ils ont réalisé 780 soldats en uniforme de la première guerre mondiale, représentant 20 des états engagés dans le conflit. Ces soldats, « minuscules, dérisoires et fragiles » (cit. dossier de presse) constituent une oeuvre dont se dégage beaucoup d’émotion.
Notes
Cet article doit beaucoup à deux sources en particulier :
- le mémoire d’anthropologie de Laurence Creusen déjà mentionné par Pligou ici
- un article de Pierre Lierneux, expert détaché de l’Ecole royale militaire auprès du Musée de l’Armée de Bruxelles : Les « tricots du soldat » pendant la guerre 1914-1918. Le cas de l’armée belge (dans La maille, une histoire à écrire, sous la direction de Marguerite Coppens, Association française d’étude du textile en collaboration avec les musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles).
Pour apprendre le « kitchener stitch« , c’est par ici et pour se lancer dans les chaussettes, c’est par par là!
Photo de couverture : Séverine Putzeys sur une idée de Pligou
2 commentaires sur « Des hommes et des mailles: II. Le soldat »